Erythrée - 2010

05/02/10
Aéroport de Toulouse, il est 7h00, j’attends mon avion pour Francfort. De l’avion, je découvre la ville allemande sous un manteau neigeux. Les premières lumières annonçant l’arrivée sur Djedda sont celles des paquebots sur la mer rouge. Une jeune femme se prépare à sortir de l’avion, elle recouvre ses habits européens d’un voile. Il ne reste plus beaucoup de monde dans l’avion après cette escale en Arabie Saoudite : une majorité d’Erythréens et quelques Italiens.
A l’aéroport d'Asmara il faut déclarer la quantité de devises étrangères que l’on amène avec soi dans le pays. J ‘échange quelques centaines de dollars en nakfa avant de sauter dans un taxi pour rejoindre l’Africa pension. Je ressorts de l’hôtel pour faire un tour, la ville est pratiquement déserte. Il est déjà minuit. Quelques sons s’échappent de petits bars, je bois ma première Asmara Beer.

06/02/10
Une belle lumière matinale rentre dans ma chambre. Par la fenêtre, j'observe un instant les écoliers, tous en uniforme avec une petite cravate tenue par un élastique, qui se rendent aux premiers cours de la journée. Sur Harnet Avenue que je croise un Erythréen avec qui j’avais échangé quelques mots la veille à l’aéroport. Avec sa veste en cuir marron et ses cheveux Afro, j’ai l’impression qu’il sort tout juste d’un épisode de Starsky et Hutch. Il vit et travaille entre Manchester et Liverpool.
Je prends quelques renseignements sur les permis à obtenir pour sortir d'Asmara au bureau de la police touristique. J’y découvre les nouvelles restrictions : un voyage à Keren est limité à 3 jours (7 jours pour Massawa), une seule visite par ville n’est autorisée. En discutant un peu plus, j’apprends que l’on peut prolonger ces séjours d’un ou deux jours car aux check points les policiers ne sont pas trop regardants sur les dates de retour.
Je décide de consacrer ma première journée à une ballade improvisée. Quelques images dans une salle de Billardo. Je rencontre le responsable de la restauration de l’hôtel Selam, Abraham se renseignera sur la possibilité de faire des images des travaux en cours.
Très peu de voitures privées sur les grandes avenues d’Asmara, quelques taxis jaunes et des bus qui appartiennent au gouvernement.
Je vais à la gare où deux hommes m’informent qu’un train partira le lendemain. Il est trop tard pour obtenir une autorisation pour faire Asmara-Nefasit-Asmara en train mais je ne suis pas certain qu’il faille un document. Après dîner, je marche tranquillement sur Harnet Avenue quand j’écrase le pied de quelqu’un. Son ami m’adresse alors la parole et me demande pourquoi je ne me suis pas excusé. Notre discussion nous conduira dans un bar d’étudiants où nous buvons une bière. L’addition est pour moi. Dans un second endroit que nous rejoignons à pieds, je m’aperçois au moment de payer qu’ils n’ont pas d’argent. Je paye à nouveau mais ils ne me reverront pas.

07/02/10
La nuit fut courte, je prends un taxi dans la ville encore endormie. Je retrouve une des personnes que j’avais vu la veille, il s’appelle Izaak. Son collègue Yonos m’indique le buffet où je vais pouvoir prendre un petit déjeuner avant de prendre le train. De nombreux touristes arrivent en 4X4 avec leurs guides. Je rencontre également Peter, un Irlandais avec qui je prends un thé.
Il n’y a qu’un seul wagon tiré par une très vieille locomotive à vapeur qui fonctionne au charbon. Le système de freinage est actionné par un technicien à l’avant de notre voiture. Nous descendons lentement, des jets d’eau provenant de la locomotive nous arrosent de temps en temps et la fumée noire envahit le compartiment. Nous traversons un paysage escarpé et très aride, des forêts d’eucalyptus, des figuiers de barbarie mais une brume épaisse nous empêche de voir très loin. De temps en temps nous plongeons dans l’obscurité en traversant un tunnel de pierre. Nous faisons plusieurs arrêts pour remplir les réservoirs d’eau. Yonos alimente la machine de charbon. Chaque passager, son appareil numérique à la main tente de capturer des images d’enfants au bord de la voix. A mi-parcours sur la seule partie à deux voies, nous nous arrêtons pour laisser passer un train qui remonte. Il est rempli d’allemands qui semblent être des nostalgiques du train à vapeur. Ils n’hésitent pas à demander au chauffeur de faire marche arrière afin qu’ils puissent prendre des photographies de leur train. Ils sont tous alignés au bord de la voix avec leurs appareils sur trépied, le spectacle est saisissant. A Nefasit, Isaak m’emmène prendre un thé dans lequel nous trempons un morceau de pain. Sur le retour j’aperçois une petite famille de singes courant entre les rochers.
Ce petit tour de manège pour touristes m’a donné faim et une fois à Asmara je vais déjeuner avec Peter au Blue Bird. Nous traînons ensuite dans la ville. Rencontre avec des joueurs de Bingo, loterie très populaire ici, où chaque personne inscrit sa combinaison de chiffres sur une petite tablette. Dans la salle de bowling est affichée une collection de photographies de joueurs. D’un côté les indigènes et de l’autre les Italiens. Quelques bières, en passant devant un bar j’aperçois un jeune adolescent affalé sur le zinc, il est ivre Zibib (alcool anisée). J’entre et demande au patron si je peux prendre une photographie dans son établissement. Ici à Asmara, la spontanéité photographique n’est pas permise. Je règle mon Leica dans cette atmosphère assez sombre quand l’ami de ce jeune garçon apparaît. Je n’ai pas eu le temps d’appuyer sur le déclencheur. Il m’interpelle voyant que j’étais sur le point de prendre une photographie de son ami. Commence alors une discussion assez ridicule où il tente de me faire un procès et où il s’exprime sur quelques principes de vie et sur sa fierté d’être Erythréen. L’Irlandais me rejoint mais je sens qu’il n’a pas envie de rester. J’offre une cigarette à un des jeunes garçons en lui disant pour m’amuser, une cigarette contre une photographie, il accepte. Il m’offre un verre de cet alcool assez fort, je le bois très vite. Sur le point de partir voyant que la discussion ne nous mène nulle part, je redemande si je peux faire une photographie, il me dit alors que son ami souhaite 5 nakfas pour cette image. Ils deviennent vraiment ridicules, nous les saluons et partons. Je jeune garçon me lance « you are a snake !» et nous sortons du bar en rigolant. Après quelques bières nous rentrons à l’hôtel. Peter part le lendemain sur Massawa, il y aurait un festival en fin de semaine célébrant les 20 ans de libération de la ville (ce qui correspond à la fin de seconde guerre en l’Ethiopie et l’Erythrée).

08/02/10
Les ouvriers travaillent à la restauration d’une magnifique maison de l’autre côté de la rue, quelqu’un balaye la cour de l’hôtel. Je me réveille tranquillement.
Je passe au bureau de police touristique pour l’obtention d’un permis pour Massawa, je compte faire le voyage ce vendredi. On m’explique qu’il est un peu tôt pour faire cette demande et que je risque de n’obtenir le papier que le jeudi soir. Normalement une demande faite avant 9h00 du matin permet d’obtenir le permis le jour même à 17h00.
Je bois un énorme jus de papaye/banane chez Capri avant de me diriger vers le marché aux légumes et aux épices. Je n’ose pas y ajouter une boule de glace à la vanille ou au lait comme le font les habitués. Quelques images dans un bar près de la grande mosquée où j’ai évidemment demandé la permission avant de sortir mon appareil.
Je fais le tour des anciens bâtiments témoignant de l’occupation italienne, Alfa Romeo, Fiat… Ces vestiges en très mauvais état m’ennuient terriblement. Je serais plus attiré par le spectacle vivant des joueurs passionnés de billardo.
L’université d’Asmara est fermée, elle a été délocalisée dans plusieurs collèges à travers le pays. Je bois un café au Crispi qui n’est pas loin.
Je passe au bureau de la police touristique sans trop d’illusions. En revanche, sur les conseils d’un homme rencontré dans un bar, je demande une autorisation pour me rendre au cimetière des chars. Je me ballade ensuite dans le quartier indigène (quartier populaire de la ville). De retour près des marchés, je fais la connaissance d’un homme d’une soixantaine d’année dans un bar, il m’invite à m’asseoir à sa table. Zerai a travaillé vingt ans à Francfort, il y a laissé femme et enfants pour revenir seul au pays. Il dirige à présent une exploitation agricole du côté de Keren. « Same place, same time », nous nous donnons rendez-vous au même endroit le lendemain. On y passe des tubes Rock n’Roll des années 70. Les vieux boivent des bières ou du gin local auquel ils ajoutent la boisson rouge italienne Sanbitter. Je suis de retour à l’Africa pension où je rencontre un jeune couple de Canadiens. Alexi et Aditya connaissent Peter, l’Irlandais vu dimanche. Ils viennent du Yémen et ont passé également trois semaines sur Socotra. L’année dernière, ils étaient en Ethiopie. Ils font fabriquer des robes au Tibet ou en Thaïlande et les revendent sur les marchés au Canada. Ils arrivent ainsi à voyager six mois dans l’année. Alexi vient de récupérer son argent, il a échangé quelques dollars américains au marché noir. Le taux est de 1 $US pour 30 nakfas au lieu de 15 dans les banques de l’état.

09/02/10
Je prends mon traditionnel petit déjeuner au Capri très tôt le matin. Je suis le seul client et des femmes nettoient encore la salle. Près des étales de fruits, une femme épluche les bananes. Je saute dans un taxi pour me rendre au cimetière des chars, mon autorisation en poche.
La scène est très surprenante, des centaines de véhicules militaires blindés (chars, jeep, camionnettes) empilés les uns sur les autres. Tout est bien rangé et l’on se promène sur de grandes allées de terre battue couleur ocre. Il me faut montrer mon autorisation à plusieurs reprises. Un homme m’accompagne, je ne pense pas avoir le choix. Au bout d’une demi-heure il me fait signe qu’il est fatigué et me demande quelques nakfas pour la visite. Je continue seul et découvre un peu plus loin des gens qui vivent dans des containers ou des anciens véhicules de l’armée. Elsa, son mari et leurs deux enfants vivent dans un vieux wagon IIIème classe. Un peu plus loin des militaires vivent aussi dans des containers.
Toute cette ferraille (achetée aux Russes) a été abandonnée par l’armée éthiopienne en déroute. Un gouvernement est capable de dépenser beaucoup d’argent pour faire la guerre même si son peuple crève de faim.
A la fin de la guerre, il a fallu nettoyer les campagnes. Le site choisi à l’extérieur de la ville d’Asmara pour rassembler tous ces véhicules est aujourd’hui rattrapé par des quartiers résidentiels.
De retour en ville, je croise sur Harnet Avenue les deux Canadiens. Ils cherchent en ce moment des billets pour l’Egypte. Nous nous donnons rendez-vous un peu plus tard pour déjeuner ensemble.
Au cours du repas au Blue Bird, j’apprends qu’ils ont croisé un Français de Toulouse l’année dernière à Dire Dawa qui s’appelle Frédéric. Une amie me l’avait présenté juste avant que je parte de Toulouse, le monde est décidément très petit.
Nous buvons un café au Lilli juste à côté quand un homme rentre avec son gros appareil numérique et commence à prendre des photographies du bar sans demander la permission. Il s’agit d’un anglais que j’avais rencontré dans le train dimanche. Nous discutons un instant mais j’ai vraiment du mal à le comprendre et je fais semblant de l’écouter.
Fin de journée, au bureau de la police touristique. Plus aucun permis pour Massawa n’est fourni aux étrangers à cause du festival qui commence ce vendredi, pas d’explication supplémentaire. Les personnes que j’ai en face de moi ne sont pas celles qui prennent les décisions. De l’autre côté de la rue se trouve le ministère du tourisme. On m’y reçoit mais la décision pour Massawa vient de plus haut. A l’ambassade de France, on m’explique poliment que l’on ne peut rien faire. Au bureau de la police touristique, on me propose de changer mes plans et de partir pour Keren en attendant que la situation pour Massawa se débloque (le festival qui ne dure que trois jours).

10/02/10
Je suis au bureau de la police touristique très tôt le matin. On m’informe alors qu’il faut que j’attende le retour de mon précédent permis pour Massawa (qui ne sera évidemment pas tamponné) avant de pouvoir faire une nouvelle demande pour Keren ce qui signifie pas avant vendredi matin. Je m’énerve un peu et décide d’aller prendre un petit déjeuner pour me calmer. Je me rends au ministère du tourisme mais cette fois-ci au 3ème étage où je suis reçu par Monsieur Agous. Je lui explique la situation et il prend son téléphone en me demandant de retourner au bureau de la police touristique m’assurant que tout va s’arranger. L’employé rédige sans délai ma demande pour Keren. Il n’est pas sûr que j’obtienne une autorisation mais la demande est au moins faite. Rendez-vous à 17h00. Je monte dans un taxi pour le cimetière aux chars, j’avais promis à Elsa que je repasserai.
Après une discussion avec les militaires qui vivent également ici, je retrouve Elsa et sa famille. On m’invite à prendre le café avec les grands-parents dans un container. Trois cafés obligatoires pour être poli. Je discute également avec une autre famille un peu plus loin. Je reprends le chemin du retour quand j’aperçois quelques épaves de réacteurs d’avions qui méritent aussi quelques images.
Pas de taxi, je tente alors le stop et la première voiture s’arrête. Le conducteur travaille de temps en temps à l’ambassade de France comme électricien. Il me dépose tout près du Golden Fork Fast Food où je souhaite déjeuner ce midi. Sur le chemin du centre ville, j’aperçois quelques collégiens tous habillés d’une chemise rouge qui jouent au football. Un peu plus loin, deux d’entre eux me demandent d’aller leur chercher des cigarettes dans le bar de l’autre côté de la rue. Ils n’ont certainement pas le droit de sortir du collège. Avant que j’accepte un jeune homme se propose de les aider et prend les quelques nakfas. Deux hommes se rapprochent de nous d’un pas pressé et demandent ce qui se passe. Je reconnais un des hommes, c’est un policier qui avait pris le train dimanche. Il m’invite à prendre un café et nous retournons au Golden Fork Fast Food. Il y a toujours cet homme en fauteuil roulant que j’avais remarqué car il portait de très belles chaussures en cuire qui avaient l’air toutes neuves, elles le resteront très certainement. Daniel me donne son numéro de téléphone. Je peux l’appeler vendredi soir si je n’arrive pas à partir pour Keren. Un taxi m’emmène au Medebar Market. Soudure, débosselage, pliage, ébénisterie et vente d’épices. Je suis impressionné par tous ces hommes et ces femmes qui travaillent péniblement et qui gardent malgré tout le sourire. De retour à l’entrée du marché, j’entre dans un atelier où des femmes travaillent sur des machines qui broient et transforment en poudre de gros piments rouges. Je prends quelques images mais rapidement il me faut prendre l’air à l’extérieur car cette poussière d’épice m’irrite la gorge, le nez et les yeux. Je reviens faire quelques photographies et les filles rient de voir aussi mal supporter cet air chargé de piments. Je change de pellicule dans un bureau tout près et je fixe sur mon nouveau film le regard d’une très jolie fille qui vient apporter ces piments. Sa coiffure est celle des gens de Keren avec une petite natte qui traverse le front. Je me rends compte plus tard que je n’ai pas changé mes réglages sur mon boîtier et que ma pellicule risque d’être sur-exposée, tant pis !
Je vais boire un thé du côté du grand marché près de l’ERITEL. Un homme me demande la permission de s’asseoir à ma table. Je sens qu’il attend que je finisse d’écrire sur mon carnet avant de m’adresser la parole. Il vit en Suède depuis huit ans. Il est presque 17h00 et je lui propose de revenir discuter avec lui après être passé au bureau de la police touristique.
J’ai mon permis pour Keren, je remercie l’employé et lui demande de m’excuser pour ce matin.
Asmellah est toujours sur la terrasse du café. Il m’offre un thé. Nous parlons longuement et il me raconte l’histoire héroïque de l’Erythrée en évitant de parler du régime qu'a instauré Issayas Afeworki. La nuit est tombée. De retour à l’hôtel, je croise les Canadiens, ils ont passé une journée dégueulasse. Ils ont rencontré Monsieur Agous et Madame la ministre du tourisme. Elle était dans son gros 4X4 garé près du ministère. L’employé du bureau de la police touristique la montre du doigt à Alexi qui se précipite pour la voir. Quand il se présente à elle en lui exposant son problème pour obtenir un permis pour Massawa, elle ne veut rien dire. Ils seront donc encore bloqués à Asmara demain. Ils me donnent l’adresse d’un très bon restaurant où l’on sert des plats arabes. Quel délice de retrouver quelques saveurs du Yémen.

11/02/10
Il est 7h00 quand j’arrive à la gare routière. Les deux premiers bus de la journée viennent de partir. Des gens attendent depuis 5h00 du matin. Ils alignent sur le trottoir leurs sacs et s’ils n’en ont pas ils mettent une pierre à la place. Ce système permet de définir l’ordre d’arrivée dans la gare routière. Lorsqu’un bus arrive, une femme distribue selon cet ordre de vieilles cartes téléphoniques. C’est avec cette carte que l’on peut monter dans le bus avant de payer et d’obtenir un reçu. Un jeune homme me montre cette femme et je décide d’aller à sa rencontre pour me présenter. Il est 8h00, aucun nouveau bus. Beaucoup d’entre eux ont été réquisitionnés pour le festival de Massawa. Quelques minibus partent pour Keren mais le trajet est beaucoup plus cher, je vais faire un tour quand j’entends un bus arriver. Je me précipite alors vers un petit attroupement en début de queue mais la femme n’y est pas. Je me retourne et l’aperçois dans le bus. La voix est libre quand elle descend et je lui demande une carte qu’elle me tend. Je suis le premier à monter dans le bus.
Au premier check point, il me faut sortir du bus et présenter mon permis dans une petite cabane. Un homme en sort au même moment, il s’agit de Daniel. Nous nous saluons et je lui demande ce qu’il fait là. Il part pour Massawa, il a l’air très content. Deux autres check points avant d’arriver sur Keren. Je file au Johannes hôtel. Chambre très lumineuse à l’étage. Pendant que l’on enregistre mon passeport, un homme s’adresse à moi et me parle de joueurs de football de la ligue anglaise. Il me trouve certainement sympathique et m’offre un verre au bar de l’hôtel. Je reste tout l’après midi sur une terrasse ombragée d’un café.
L’ancienne gare de train est devenue le terminal des bus. Je me perds dans quelques photographies sans intérêt. Je croise dans la rue un homme qui m’a vu monter dans le bus ce matin, il se propose d’être mon guide mais je ne lui laisse que très peu d’espoir. Je suis fatigué et seule l’agitation du quartier arabe éveille en moi un peu de curiosité.

12/02/10
La nuit fut reposante, le matelas semble être neuf. J’ai toutefois été réveillé à 5h30 par les cloches de l’église et à 6h00 par le chant d’un muezzin qui avait du être vexé par tant de chrétienté.
Pas d’eau dans ma salle de bain. Impossible de réparer la panne ce matin, j’arrive donc à faire baisser le prix de la chambre. En descendant vers la ville, je croise le guide rencontré la veille, il m’invite à boire un thé mais je suis décidé à goûter un grand verre de yaourt dans une pâtisserie à l’entrée de la ville. C’est délicieux.
Je sors de la ville sur une route qui part vers le sud pour visiter le Baobab de Mariam Dearit. Il y a un cimetière italien au bord de la route mais on me refuse l’accès, il faut une autorisation. Ca devient pénible.
Deux soldats m’indiquent la direction pour l’église de Mariam Dearit, je traverse quelques champs, une rivière asséchée où des chameaux broutent des figuiers de barbarie. Deux femmes prient à l’intérieur du tronc du baobab. Je m’assois un instant à l’ombre avant de repartir.
Je me dirige vers une petite habitation perdue dans les champs. A mon arrivée et après avoir échangé quelques mots d’arabe et d’italiens, on m’invite à boire le café. Cette petite famille vit dans deux cabanes circulaires sans eau ni électricité. On fait brûler de l’encens et le café moulu avec du gingembre dans un mortier m’est servi trois fois.
De retour sur Keren, deux vieux arabes me prennent par le bras et m’emmènent boire un thé.
Sur le chemin de mon hôtel, je m'arrête instant et rentre dans un bar, attiré par une musique que je connais, c'est une chanson de Teddy Afro (chanteur très populaire en Ethiopien). Bien que la musique éthiopienne soit prohibée en Erythrée, une jeune fille écoute cette musique tout en faisant le ménage.
Après avoir observé une partie de billardo, je m’assois dans la rue à une table d’un restaurant où l’on sert un Foul terriblement délicieux. Le patron est très souriant et m’autorise à prendre quelques photographies même si quelques clients ne sont pas du même avis.
Revenant à mon hôtel, je rentre dans un bar presque vide où un vieil homme porte un bonnet rouge avec une bande blanche. Deux autres personnes m’offrent un thé et nous rions un moment en regardant ce père Noël qu’ils connaissent. Le patron s’appelle Amanuel (Emmanuel en tigréen).

13/02/10
La douche fonctionne à merveille. Après un tour au marché où j’achète quelques fruits à prix d’or, je pars à pieds vers le nord de la ville. A la sortie de Keren, je suis un homme qui monte la colline avec sa mule. De l’autre côté, je découvre un plateau rocailleux entouré par des montagnes. Attiré par un point d’eau à l’est, je quitte mon homme et j’aperçois un camp militaire et la prison de la ville. Je reviens vers l’est pour contourner une grande montagne avant de revenir sur Keren. Un homme coupe des racines d’acacia, nous échangeons deux ou trois mots d’arabes, je remarque qu’il finit toujours ces phrases par « Zadig », mon ami. Je repars en me répétant Zadig, Zadig… et des images du Yémen me traversent l’esprit. A l’ombre d’un acacia encore debout, je m’arrête pour me reposer un peu, je serais presque tenté de faire une sieste. Je réalise que ces montagnes étaient des champs de bataille et qu’il est peut être dangereux de s’aventurer hors des chemins. Cette idée est certainement idiote mais je continue ma promenade avec un peu moins d’enthousiasme. Une nouvelle vallée s’ouvre devant moi et je reviens sur Keren. En contre bas je devine le check point à l’entrée de la ville, il me faut l’éviter et passer par le lit sablonneux d’une rivière asséchée. Un peu plus loin près d’un cimetière, je rencontre un gamin qui porte un énorme morceau de bois sur son épaule. Nous remontons ensemble vers une banlieue pavillonnaire. Je lui donne la fin de ma bouteille d’eau. A nouveau des chars et des camions militaires amassés sur un terrain vague. De retour au Johannes hôtel, je bois une bouteille d’eau gazeuse au bar. Quelqu’un m’allume le poste de télévision pensant me faire plaisir. Encore le festival de Massawa et des documentaires sur la guerre d’indépendance. Un homme s’assied à côté de moi et me commente ces images dans un très mauvais anglais. ERITV semble être l’unique chaîne du pays. C’est l’heure de la livraison des bières, je vais faire une sieste. De retour en ville je vais faire un tour au club de jeu « The 12 Players Team ». Alors que je prends quelques images de joueurs de Billardo, le patron vient me voir et m’informe qu’il ne souhaite pas que l’on prenne des photographies dans son établissement. Il m’invite à prendre à thé. J’apprends que le chiffre 12 fait référence au football, 11 joueurs sur le terrain et 1 seul public. Dans ma chambre d’hôtel je fabrique un étui pour mes films polaroïds avec une boîte à chaussures qu’une commerçante ma donné.

14/02/10
Balade matinale en ville. Les enfants m’appellent tous « China ! », de nombreux Chinois ont longtemps travaillé dans une grande usine pharmaceutique à Keren. En remontant une petite ruelle crasseuse, j’aperçois trois filles assises autour d’un poil à braises dans un bar, elles s’apprêtent à prendre le café. Elles me font signe d’entrer et m’invitent à m’asseoir avec elles. Nous partageons quelques fruits que j’ai achetés au marché. Elles me proposent de repasser dans la soirée.
Je rencontre une fille soldat qui m’invite chez elle à prendre un thé. Au mur une photographie de sa grande sœur avec une coupe de cheveux Afro, elle a combattu pour l’indépendance de l’Erythrée. Sa nièce qui a à peine 16 ans parle très bien anglais.
En me baladant vers la rivière, je remarque un homme regardant à travers un trou dans un mur. Je m’approche et lui demande ce qu’il y a de l’autre côté : c’est un match de football. J’achète un billet et je rejoins les tribunes. Le soleil est encore brûlant.
Au Keren hôtel, un pylône avec un escalier est installé sur le toit, la vue est splendide. Mais une fois en haut j’ai la mauvaise idée de tester la rigidité de la structure. Effrayé par ma découverte, je redescends sur la pointe des pieds.
Les deux touristes Italiens que j’avais aperçu à Asmara viennent d’arriver en ville.
Je croise le guide à la station service et nous allons boire un thé ensemble. J’y aperçois un joueur de Billardo que je reconnais grâce à son t-shirt de Milan AC. Le guide m’informe que l’homme que j’ai pris en photographie la veille assis près de la station service y est tous les jours, c’est un vieil italien : mon premier ensablé. Une délicieuse odeur de viande grillée vient jusqu’à nous. Un barbecue est installé dans la cour, je reviendrais plus tard.

15/02/10
Après mon traditionnel petit déjeuner au lactose, je vais au Camel Market. Sur le chemin, un homme que j’avais rencontré à la gare routière se propose de m’emmener à ce marché sur sa charrette tirée par un très vieux cheval pour quelques nakfas. La balade est très amusante.
Il faut réellement se battre pour monter dans le bus pour Asmara. En passant au-dessus de la rivière, je vois un autre marché très coloré. Il est trop tard, je m’en vais. Personne ne remarque que ma date de retour est dépassée.
Je pose mon sac à l’Africa pension. En entrant dans le bureau de la police touristique, l’employé me fait un grand sourire et me montre mon permis pour Massawa. Il avait anticipé mon retour de Keren et je peux ainsi repartir dès le lendemain. Je suis ravi et je le remercie.
Je retourne au Medebar Market en faisant attention cette fois-ci à mes réglages. Je porte également un chèche pour me protéger des poussières de piment. Les filles me laissent faire quelques photographies et pour les remercier je sors mon Polaroid. L’image est superbe, unique mais elle ne m’appartient plus. Signature et adresse au dos pour la postérité.
Dans une boutique j’achète 1 Kg de différentes épices et je fais bien attention de noter les noms et leurs utilisations respectives que je glisse dans chaque petit sachet en plastique.
Je croise les deux italiens qui ont également obtenu leur permis pour Massawa. Ils me font penser aux deux Polonais que j’avais rencontré en Ethiopie.
C’est agréable de retrouver la fraîcheur quand la nuit tombe sur Asmara.

16/02/10
Je n’ai pas très bien dormi mais je le dois aux épices que j’ai respiré la veille. Petit déjeuner en ville. Je trouve une place dans un bus dès mon arrivée au terminal. Je retrouve dans une première partie du voyage les paysages parcourus en train suivi d’une campagne un peu plus verte avant de rejoindre les terres arides de la plaine. Sur un pont, on peut encore lire : "CA CUSTA LON CA CUSTA", ça coûtera ce que ça coûtera, les italiens ont énormément investi dans leur colonie. L’air en ce milieux de journée à Massawa paraît étouffant, je saute dans deux taxis publics successifs pour rejoindre l’île Taulud ou se trouvent la plupart des hôtels. Un homme se propose de m’accompagner. Je choisis finalement de m’installer au Luna hôtel où je lui offre une bière pour le remercier de m’avoir porter un sac. Mais après avoir bu sa première bière il en recommande une deuxième puis une troisième. Avant la quatrième, je lui dis que ça suffit et lui explique que je n’ai pas l’intention de lui offrir son ivresse. Il m’annonce alors qu’il n’a pas un nakfa. Je suis agacé par son attitude et je prends son verre que je jette dans la rue. Je m’en vais voir le port après avoir réglé l’addition.
En arrivant sur la vieille ville j’ai l’impression d’entrer dans Mogadiscio (que je ne connais pas exactement).
Je montre mon passeport au militaire qui est à l’entrée du port et il donne l’accès pour rejoindre le bateau de Jack. Je monte à bord, il est en train de bricoler et m’offre une bière de bienvenu. Je n’ai toujours pas mangé, la ville est endormie et les commerces ne réouvriront qu’en fin d’après-midi. Son marin arrive pour faire quelques bricoles sur le voilier et moi je retourne au Luna hôtel pour prendre une douche et me reposer. En début de soirée je retrouve Jack à son bateau, c'est l'heure où les ouvriers quittent le port. Il est 18h00 lorsqu'un coup de sifflet résonne, un militaire descend le drapeau érythréen. Tout le monde se fige, c'est complètement surréaliste. Un second coup de sifflet libère tout le monde. Jack m’offre une bière sur la terrasse d’un bar, je n’ai toujours pas mangé. Nous dînons au Central hôtel face à la mer rouge. Il n’est pas très tard quand je rentre à mon hôtel.

17/02/10
La nuit fut terrible, entre les clients du bar qui ont discuté tard dans la nuit, les chattes en chaleur qui ont miaulé toute la nuit, le coq à 5h00 du matin et les corbeaux à l’aube, je n’ai pas fermé l’œil. Les Soudanais en voyage de noce (qui ont pris le même bus d’Asmara) sont déjà debout quand je quitte l’hôtel, ils attendent tranquillement leur petit déjeuner. Je les rejoindrai peut être mais en attendant je file sur la vieille ville. A l’extrémité sud de l’île de nombreux camions attendent l’accès au port. Je discute avec quelques chauffeurs et l’un d’eux me propose de revenir un peu plus tard pour prendre le petit déjeuner ensemble.
En sortant de la vieille ville, j’aperçois une vieille Fiat 600 blanche sur un terrain vague avec de nombreuses personnes autour. En me rapprochant je me rends compte qu’il s’agit d’une auto école. Les exercices consistent à faire des manœuvres sur un parcours défini par des plots. Un homme amène sa fille pour une leçon. Ils sont un peu en avance et me proposent d’aller boire un café un peu plus loin.
Je retourne à l’hôtel où je découvre mes deux amis Canadiens. Ils font leur valise et ne semblent pas avoir été sous le charme de Massawa. Ils partent dans quelques jours pour le Caire.
Il est presque midi quand je rends visite à Jack sur son bateau. Nous nous dirigeons vers le Luna pour y déguster des spaghettis aux crevettes. Sur le chemin, il me montre le quartier des bars à prostitués qu’il nomme les « Injera Girls ». De retour dans la vieille ville nous prenons un café et un jus de papaye sur la terrasse couverte du Massawa hôtel. Jack cherche l'unique quotidien du pays, une version anglaise est en effet publiée le mercredi. Ce journal se résume à quatre feuilles écrites par le gouvernement. Ici, la presse internationale n'est pas disponible. Il reprend finalement son petit vélo et va faire une sieste sur son bateau. Je n’ai pas sommeil et décide de marcher dans les rues désertes ou presque. On rencontre ci et là des personnes dormant à l’ombre sur des sommiers installés dans la rue devant leur maison.
Je passe au parking des camions. Mon ami du matin est parti sur Asmara me dit un mécanicien. Il est Ethiopien, né à Chencha dans le sud du pays. Il porte un t-shirt Black Sea avec une tête de mort et me demande où se situe la mer morte. Nous parlons un petit moment de la région de Chencha, Arba Minch et Dozé et me demande ce qu’est devenue sa ville natale. Nous nous donnons rendez vous dans la soirée au Massawa hôtel.
En attendant j’ai l’intention de me rendre de l’autre côté de la baie à LERIFISH. C’est ici que les pêcheurs viennent vendre leurs poissons au gouvernement pour le prix dérisoire et unique de 20 nakfas le Kilo. Ils n’ont pas le droit de le vendre ailleurs. A ce prix là avec le prix de l’essence, certains pêcheurs élever des chèvres. Je fais du stop et un gros camion s’arrête. Il m’amène sur le continent où je prends un taxi collectif. Le portail est fermé mais on me fait signe que je peux rentrer. Je me dirige alors vers les bateaux. Des pêcheurs Yéménites sont là, ils m’invitent à monter sur leur boutre, nous échangeons quelques mots d’Arabe, des noms de villes comme Hodeïda, El Mocha me rappellent le pays. Quelques minutes plus tard, un homme en chemise bleu ciel apparaît, il est très en colère. Je n’ai rien à faire ici et il me demande de descendre du bateau et de partir immédiatement.
Alors que je longe les étangs de sel avec quelques îlots grisâtres, un chauffeur routier s’arrête et m’emmène à la station de taxis collectifs. Je dîne avec un Bulgare voyageant seul et qui occupe la chambre d’à côté. Au cours de notre repas nous convenons de partir très tôt le lendemain à la plage de Gurgussum.
Je bois un thé avec Michael au Massawa hôtel. Les Ethiopiens parlent très bien anglais. Une fille me salue, je ne la reconnais pas immédiatement et réalise quelques secondes plus tard que j’ai bu un café avec elle et son père le matin même.
Je vois les pêcheurs Yéménites qui sillonnent la vieille ville, ils pourraient paraître inquiétants avec leurs têtes de pirates.
Michael me raconte qu’il a évité le service militaire en Erythrée en se faisant passer pour un fou. Je lui réponds que j’ai fait la même chose. Il souhaite rejoindre son père en Tanzanie mais il est bien conscient qu’il ne partira pas si facilement d’Erythrée. Nous nous baladons dans les rues aux néons colorés. Sur la terrasse du Navy, nous buvons tranquillement une bière. A côté de nous, un Européen d’une cinquantaine d’année, avec une Injera Girl sur les genoux, se trouve irrésistible et rit très fort. Il y a moins de prostituées à Massawa aujourd’hui. La Maire de la ville a viré beaucoup de filles, qui travaillaient essentiellement avec les représentants des ONG ou de l’ONU. Certains clients s’amusaient même à faire des petits films qui se retrouvaient plus tard sur Internet.

18/02/10
La nuit fut plus calme que la veille, départ à 6h00 pour la plage. Nous marchons jusqu’au continent où nous trouvons notre premier taxi public. Il nous faudra également monter à l’arrière d’un camion pour finir les derniers kilomètres à pieds. Le bord de mer n’est vraiment pas extraordinaire mais je fais quelques longueurs de dos crollé avant de prendre un thé au bar de la plage. Je fais signe au Bulgare que je m’en vais. Ici le soleil ne se découvre qu’à partir de 10h00 lorsqu’il dépasse une sorte de nébuleuse faite de sable. Cela correspond également à l’heure où une petite brise marine allège la lourdeur de l’air.
Au macadam, je croise un homme et un gamin sur leurs chameaux. Ils me proposent une somme considérable pour ne faire que cent mètres. J’apprends par la suite qu’ils travaillent au club de la plage pour les touristes. Un minibus m’amène à l’entrée de la ville dans un quartier que j’avais repéré le matin. Les maisons sont fabriquées de planches et de tôles. Je fais une pellicule en évitant de prendre des habitants dans mon objectif. Une jeune femme m’invite à prendre le café dans sa maison. Le quartier s’appelle Adiss Alam.
Au moment où je vais reprendre un bus, je vois au bord de la route un ami à Jack qui travaille dans vieille ville. Il habite tout près d’ici dans une des maisons construites par le gouvernement. Il m’explique avec beaucoup de convictions qu’il aime son pays, que son président fait de très grandes choses pour son peuple et qu’il trouve sa politique extérieure très audacieuse et respectable. Il m’offre le trajet.
Quand je redescends de ma chambre, je découvre Jack assis à une table qui attend ses spaghettis aux crevettes. Nous déjeunons ensemble et je lui offre le traditionnel café et jus de papaye au Massawa hôtel où un nuage de mouches s’envole qu’en nous nous asseyons à une table. Un homme sort de son 4X4, il a la barbe est les cheveux oranges colorés à l’henné, c’est un Yéménite. Il m’offre une cigarette Kamaran.
En me baladant dans la vieille ville j’aperçois une étrange assemblée de femmes assises sous une grande bâche orange. Elles font le deuil d’un enfant en se réunissant ainsi tous les après-midi pendant 7 jours. Une femme me donne la bonne aventure en jetant des coquillages dans un panier :
- Je ne repartirai pas directement en France
- Je manque à mon amie
- Je serai heureux
- De retour en France, je gagnerai beaucoup d’argent
Ce petit jeu me coûte quelques nakfas pour la veuve.
Je me rends avant la fermeture des bureaux dans un immeuble construit par les Coréens pour tenter d’obtenir un permis pour revenir à l’ERIFISH. Le ré de chaussée devait être un grand centre commercial mais tous les espaces sont restés vides. Monsieur Izaaz me conseille de m’adresser directement à la « Fish Entreprise » mais il n’y plus personne dans les bureaux à cette heure.
Je me rends à L’ERITEL situé sur le continent pour passer un coup de téléphone en Europe, une grande partie des lignes téléphoniques ont été coupées il y a trois ans sur les deux îles.
Je dîne au Luna hôtel encore ce soir, je réalise que ce restaurant devient ma cantine, on y mange très bien pour un prix raisonnable. J’ai rendez-vous ensuite au Massawa hôtel avec Michael. En repassant près de la salle du restaurant juste avant de partir, je vois Jack avec son ami qui est arrivé d’Asmara en taxi en début de la soirée. Cet ancien chirurgien de Paris vient passer 4 jours dans les îles Dahlack. Il a bien sûr écghangé tout son argent au marché noir et ce périple en bateau ne lui coûtera que 500 euro. Les Injera Girls sont excitées comme des guêpes, le week-end est proche. J’apprends que ces filles se font faire un enfant pour éviter d’aller au service militaire. Nous croisons le marin de Jack à l’extérieur d’un bar, il nous propose de nous assoire à sa table. Les bars à néons sont encore vides, les gens préfèrent être à l’extérieur au frais pour l’instant. Cet homme très sympathique a vécu à Miami pendant quelques années avant de revenir dans son pays à la libération. Lui n’est plus libre à présent car il ne peut plus repartir à l’étranger. Nous buvons quelques bières qu’ils nous offrira.

19/02/10
Réveil matinal avec la gueule de bois. Cette Asmara Beer n’est vraiment pas bonne. Je ne vois pas Jack au rendez-vous, nous devons aller ensemble au marché du vendredi sur le continent. A son bateau personne non plus. Finalement, je le vois au bout de la rue s’apprêtant à prendre un minibus. Il vient de quitter l’ancien chirurgien sur la terrasse d’un café en face du quai aux Speedboats. Cet homme ne part pas seul, il a acheté une fillette pour quelques jours. Sa mère l’a même accompagné pour voir avec qui elle embarquait.
En arrivant près du marché, nous découvrons le marin de Jack écroulé sur une chaise à la terrasse d’un bar, il a du s’endormir ici complètement ivre. Il nous faut le secouer au moins cinq minutes pour qu’il se réveille. Jack est furieux.
Très peu de choses à ce marché. Les Somaliennes, de très belles femmes, viennent vendre au détail une partie des aides alimentaires fournies par les ONG qui ont pu rester dans le pays.
J’ai perdu Jack qui a du rentrer seul avec ses provisions pour sa semaine en bateau avec un groupe de touristes français.
Le chauffeur d’un minibus me reconnaît et la fille à côté de moi m’invite à boire le café chez elle. Elle et sa mère habitent dans ces barres d’immeubles affreux construits par les Coréens. Ces appartements sont réservés aux gens assez proche du gouvernement. La cérémonie dure 5 cafés avec de délicieux pop-corn. Son père vit et travaille à Assab à deux jours de bus de Massawa. Elle travaille de temps en temps à la réception du Luna hôtel.
Je retrouve Jack assis à une table du restaurant de l’hôtel, cela ressemble à une habitude. Je lui explique que j’ai rencontré un Koweïtien au marché et que j’ai rendez-vous avec lui au Central hôtel ce soir.
Jack est parti faire une sieste et je retourne près du Luna hôtel pour me baigner. J’ai remarqué qu’au bout de la rue il y avait un terrain avec une piscine en très mauvais état et un peu plus loin un petit ponton en ciment donnant sur la mer. L’eau a l’air suffisamment propre et l’endroit me semble plus intéressant que la triste plage de Gurgussum.
Au Red Sea hôtel, je croise mon ami italien Fabio que je soupçonne être un photographe professionnel qui se fait passer pour un touriste. De toute façon dans ce pays il vaut mieux se présenter comme touriste.
L’Eritrean Diving Center est en ruine, les bateaux ne sont pas entretenus mais l’on m’affirme que tout fonctionne.
J’entre dans une vieille bâtisse dans l’idée d’accéder à une terrasse pour avoir une vue sur la ville. Je rencontre au premier étage une charmante dame âgée qui me propose de me faire un thé. Nous échangeons des sourires et quelques mots qui me font croire que l’on se comprend un peu. Je trouve une photographie de famille sur laquelle elle a vingt ans, elle est splendide.
C’est le week-end et de nombreuses familles d’Asmara viennent passer quelques jours au bord de la mer.
La patronne d’un bar me fait comprendre qu’elle ne veut que je fasse des photographies dans son lieu. Je profite alors d’un moment d’absence pour réaliser un Polaroid. Je lui montre l’image, elle est furieuse. Je commande un thé pendant que deux personnes essayent de lui expliquer que cette image est très belle. Elle n’a pas l’air convaincue mais je sens qu’elle n’est pas si mécontente.
Je mange seul avant de rejoindre le Koweïtien. Jack m’attend également car je dois lui rendre un livre illustré sur l’Erythrée.
Bader m’offre un Coca Cola. Il fait partie d’un club de photographes amateurs et il semble être soucieux de faire de belles images avec son superbe appareil numérique Nikon. Nous discutons photographie un moment.
Lui et ses amis, ils sont une dizaine, ont traversés l’Arabie Saoudite avec leur véhicules jusqu’à Djedda où ils ont embarqué dans un ferry. Il me raconte un peu leur périple dans le pays des Danakil. Beaucoup de matériel pour cette aventure où ils ont pu rencontrer des nomades. Il n’est pas très tard lorsque je rentre à mon hôtel.

20/02/10
Le matin on rencontre souvent des femmes qui balayent les rues, ce sont les veuves de militaire qui obtiennent ce travail.
Au petit port de pêche près de l’ancien palais de Hailé Sélassié, je suis accueilli par un vieil homme qui m’explique que je n’ai pas le droit d’entrer. J’essaye donc de trouver un responsable dans un bureau. Ils sont tous vides. En redescendant je croise un homme qui me dit que je peux rester et prendre des photographies. Des femmes voilées montent dans une embarcation et l’on me fait comprendre qu’il ne faut pas que je les prenne en photographie. Un peu plus tard des hommes sortent d’énormes bâtons de glace d’un camion qu’ils chargent ensuite dans les bateaux. Je suis alors interpellé par le responsable du site qui me demande de partir. C’est aussi une entreprise gouvernementale qui ne souhaite pas retrouver des images dans la presse. Mes contacts ne me servent à rien et je quitte les lieux.
Des militaires travaillent sur la jetée tout près. Le service militaire obligatoire a une durée indéterminée ce qui permet à l’état d’avoir de la main d’œuvre pour toutes sortes de travaux et il arrive quelque fois que ces militaires soient employés à restaurer une belle villa d’un haut fonctionnaire.
Il est 10h00 et toujours pas de brise marine, la journée risque d’être très chaude. Je vais me baigner. En face de moi, le grand Dahlack Hôtel qui est en travaux depuis sept ans. La mafia italienne n’a plus beaucoup d’argent à investir par ici.
Je déjeune comme d’habitude avec Jack et je vais me baigner à nouveau après le repas. La piscine abandonnée s’est remplie d’eau de mer, c’est la marée haute et le fond doit être poreux.
Sur la digue qui mène à la vieille ville, un homme s’amuse à poser devant mon objectif. Il me fait beaucoup rire.
Je rencontre également un ancien professeur de mathématique. Il a enseigné à Addis Abeba avant de rejoindre l’Erythrée. Il est complètement paranoïaque et ne souhaite pas me donner son nom. Ila toujours avec lui un petit livre contenant des formules mathématiques.
Assis à une table à côté de moi sur la terrasse de la cafétéria Nur, le va-nu-pieds que j’ai croisé sur la digue cet après-midi est en train de dîner. Je le rejoins et nous discutons un peu. Il porte de très nombreuses bague à ces doigts et me demande d’où vient celle que j’ai au petit doigt. Je lui explique qu’elle vient d’Ethiopie et il me dit alors qu’elle est fabriquée avec de les pièces de 25 centimes Hailé Sélassié, ce qui est juste. J’ajoute seulement qu’il y a aussi un peu des cartouches de Kalachnikov. Il est vêtu d’une superposition de divers vêtements trouvés sur son chemin et pourrait très sortir d’un défilé de mode. Je vois au loin Jack qui traverse la place avec ses touristes, ils partiront demain pour les îles Dahlack.
Je salue mon ami et je vais vois Kader au Central Hôtel. Il me montre quelques vidéos du désert des Danakil. Je réalise alors la quantité de matériel qu’ils ont apporté : quatre 4X4 et un camion, deux tentes qui sont de véritables chapiteaux de cirque et un réservoir d’eau du capacité de plus de 1000 litres. Une grande partie de la nourriture vient du Koweït, ils n’achètent sur place que la viande et le lait. Avec eux également deux chiens entraînés pour la course et la chasse. La première vidéo montre la mise à mort d’une gazelle que ces deux chiens ont capturés. Kader comprend assez rapidement que je ne suis pas client de ce genre de spectacles. Il m’explique aussi qu’ils se font à manger dans cet hôtel et qu’ils ont du loué la cuisine du restaurant. Sur mon départ, il me montre les deux chiens, il y a aussi un mouton accroché à un arbre qui semble deviner son proche futur, inch allah !
C’est samedi soir et je veux connaître l’atmosphère du Torino. Je suis étonné car la fréquentation des bars ne me semble pas plus importante qu’en semaine. Dans un salon de coiffure une fille enlève ses bigoudis. Elle s’appelle Floria mais m’avoue qu’elle a plusieurs prénoms. Je lui promets de la revoir au Torino. A nouveau dans la rue. Soudain, une coupure de courant général plonge la ville dans l’obscurité. La musique s’éteint et quelques bougies s’allument. Je m’installe sous une arcade pour goûter à ce nouveau spectacle. Quelques conversations s’échappent des bars et des visages apparaissent rougis par une cigarette. On se croirait dans un Western. Au bout de 30 minutes je décide de revenir tranquillement à mon hôtel. Le continent est également dans le noir. Seul les phares des taxis éclairent la rue principale. Je suis réveillé par le retour du courant, il s’est écoulé plus d’une heure. Tant pis pour le Torino mais je ne me relève pas.

21/02/10
Malade, je me suis levé trois fois dans la nuit. Je traîne un peu au lit avant de prendre un petit déjeuner. Les médicaments me soulagent un peu mais je ne bois à présent que du Coca Cola pour me réhydrater. Je vais faire quelques photographies près de la piscine abandonnée. Au retour, une femme m’appelle, elle dit m’avoir vu passer assez souvent dans sa rue. Elle m’invite à boire un café avec toute sa petite famille mais dans mon état cette boisson n’est pas très recommandée et je lui propose de revenir en début d’après midi. Quelques photographies dans la vieille ville où je croise le marin de Jack jouant aux Dominos. Le bateau est parti dès cinq heures du matin.
Je rejoins la femme du matin. Tout le monde est dans le salon, la télévision diffuse toujours les mêmes chansons patriotiques. Nous prenons le thé sur la terrasse à l’ombre. Je prends une photographie de la famille que je transmettrai à leurs amis français dont ils n’ont plus de nouvelle. La mère m’apporte un vieux pot de miel sur lequel est encore inscrite une adresse en Ariège. La discussion tourne autour des relations internationales du pays, du service militaire et de l’accueil des Erythréens.
Je vais me baigner. Je m’aperçois qu’il y a un gardien, il habite dans une petite cahute. Il doit surveiller un terrain vague avec cette piscine abandonnée. Il ne gagne que 500 nakfas par mois mais il ne sait pas quoi faire de ses journées. Je lui promets de repasser.
Près du parking des routiers, un homme pêche, je ne l’ai pas vu attraper un seul poisson mais il m’affirme que son sac en est rempli. Je vois Michael et nous discutons un instant. Alors que je sors de la cafétéria Nur, je vois mon ami le va-nu-pieds. Il s’amuse encore à poser devant mon objectif en plein milieu de la place. Un jeune homme vient vers moi et me demande pourquoi je photographie cet homme, son anglais est très approximatif. Cette fois-ci je me mets en colère et je lui demande de quoi il se mêle. Il me dit que cet homme est fou. Très bien, mais cet homme m’intéresse et je suis convaincu d’échanger plus de choses avec ce fou qu’avec lui. Je lui demande sèchement qu’il me laisse tranquille avec mon ami le va-nu-pieds.
Nous marchons ensemble et il me demande ce que lui voulait ce garçon. Je lui raconte et il me dit alors qu’il n’a pas d’argent, pas de maison mais qu’il n’est certainement pas fou. Je remarque qu’il donne un coup de pied sur tout ce qu’il trouve sur son passage. Il ramasse l’objet trouvé pour en évaluer sa valeur. S’il n’est pas intéressé, il re-déposer l’objet dans la rue.
Nous rions beaucoup ensemble. Dès que je prends mon appareil pour le photographier, il me regarde et me demande où est le soleil avant d’orienter son visage vers la lumière. Un jeune homme me crie par la fenêtre d’un minibus qu’il ne faut pas photographier cette personne, je ne réponds pas. Nous traversons le pont jusqu’au palais Hailé Sélassié où nous nous disons adieu.
En fin d’après midi dans la vieille ville, une fille très charmante m’invite à m’asseoir à côté d’elle. Tout près d’autres femmes font cuire des galettes qu’elles émiettent après la cuisson. On m’explique qu’elles retrempent les morceaux ainsi obtenus dans du lait ou autre chose. Des enfants m’appellent par mon prénom, j’ai du les voir la veille, ils partent jouer au football. Je préfère la compagnie de ces femmes.
La fille m’invite à prendre le café chez elle. Je découvre une chambre très sobre et spacieuse. Aux deux angles de murs opposés, les portraits de son père et de sa mère en N&B. Elle me montre un album de photographies, sa famille, ses amis. Son mari vit aux Etats-Unis. Sa petite fille est chez ses parents à Asmara. Je la vois aussi un peu plus jeune déguisée en Injera Girl au Old Navy. Un jeune garçon qui travaille sur le port et une autre fille du même âge se joignent à la cérémonie du café. Ce garçon me pose des questions sur Jack et ses activités m’expliquant qu’il devrait payer des taxes au gouvernement pour les touristes qu’ils baladent en mer. Je lui ré-affirme que ce sont des amis à lui et non pas des touristes. Il commence à faire nuit quand je reprends le chemin de l’hôtel.

22/02/10
Petit déjeuner au Nutella, ça c’est vraiment du réconfort. Mon gardien qui s’ennuie enlève des clous à une vieille palette pour les réutiliser plus tard. Il ressemble vraiment à un Robinson sur son île déserte.
Au bureau de Monsieur Izaaz, j’obtiens assez facilement un permis pour accéder au port, papier devenu nécessaire depuis le départ de Jack. Je suis une secrétaire qui fait valider le papier dans trois bureaux différents.
A l’entrée du port, on m’averti qu’il est interdit de prendre des photographies. Juste un petit clic mais je sens qu’il y a des yeux partout dans cette zone qui paraît déserte. Je vais au bout de la jeté face à l’entrée du port. Un homme vient vers moi, je le reconnais pour l’avoir vu une fois avec Jack, c’est le chef de la sécurité. Il m’accompagne pour être sûr qu’il n’y aura pas d’autres clics. Nous marchons tranquillement quand j’aperçois au loin un bateau militaire qui vient d’être sorti de l’eau par une énorme grue. A ma grande surprise, il m’autorise à faire une photographie mais je suis trop loin. C’est un des bateaux que l’armée érythréenne a capturé aux Ethiopiens et qui va être remis à neuf.
Je suis dans la boutique d’un ami quand celui-ci me montre du doigt deux blancs marchant dans la rue. Il me demande de leur demander s’ils veulent échanger de l’argent. Cédric est français, originaire de Toulouse et son co-équipier est norvégien. Ce dernier échangera une centaine de dollars au meilleur taux de la ville.
Au Luna, je croise l’équipe nationale de cyclisme. Ils arrivent d’Asmara pour une semaine d’entraînement dans la région avant de repartir sur la capitale en vélo bien sûr.
En fin de journée, j’arrive trop tard pour la sortie de travail des ouvriers du port. Je suis attiré par un petit groupe qui regarde attentivement la télévision sur la terrasse d’un café. Il s’agit d’une manifestation retransmise en direct de Genève pour critiquer les nouvelles mesures de l’ONU à l’encontre de l’Erythrée.
Un peu plus loin, un homme m’appelle par un « Monsieur le français ». C’est l’ancien professeur d’Addis Abeba toujours avec son petit livre à la main. Nous parlons un peu de cette manifestation. Avant de nous séparer, nous convenons qu’il s’appellera Monsieur X et que je serai Monsieur No Name. Un fou, un vrai.
Dans toutes les boutiques, dans tous les bars les gens sont bloqués sur la télévision. Juste avant le pont, je croise un des gamins qui joue le soir au football. Il me montre très fier un morceau du thon qu’il a pêché avec ses copains. Son couteau est encore plein de sang.
Les serveuses du Luna se moquent de moi car elles ont appris qu’un va-nu-pieds était mon ami. Je suis content de les voir sourire pour la première fois. Je ne sais pas si la nouvelle est déjà arrivée jusqu’à Asmara.

23/02/10
Au petit matin à l'hôtel, les cyclistes prennent leur petit déjeuner. Ils sont accompagnés de leur coach Salomon Samson ainsi que de leur assistant technique Hadi Barhi. Des regards amusés s'échangent et je leur demande si ils accepteraient que je fasse une série de portraits avant qu'ils montent sur leurs vélos.
Ils appartiennent tous à l'équipe nationale d'Erythrée qui comprend 25 cyclistes au total. Ces neufs cyclistes vont suivre un entraînement intensif d'une semaine au terme duquel 7 d'entre eux seront sélectionnés pour participer au Tour cycliste de Libye qui se déroulera du 13 au 17 mars prochain (plus de 600 km à parcourir). Salomon m'avoue que vu les spécificités topographiques de l'Erythrée (la capitale Asmara est à plus de 2500m d'altitude) ce n'est pas en Libye que ses coureurs se distinguent le plus.
Ils ont entre 23 et 25 ans. Le gouvernement est le principal "sponsor". Les équipements sont achetés aux Etats-Unis. La prise de vue se déroule dans une atmosphère très détendue et chacun prend très au sérieux ce travail photographique.
Je suis sur le point de prendre mon bus pour Asmara quand je réalise que je n'ai aucune autorisation pour utiliser ces images. De retour donc à l'hôtel, je prépare un document qu'ils me signeront tous. Nous déjeunons finalement tous ensemble à l'hôtel. Ils viennent de faire 80 km et ils dévorent un plat de pâtes suivi d'un poisson. Ici, pas d'amphétamines pour doper ces sportifs. Je bois un thé avec Salomon avant de reprendre mon bus pour Asmara.
A la station, il y a un petit bureau climatisé où quatre femmes font la billetterie. Deux sont allongées sur des chaises. Je comprends qu’il faut que j’attende et que j’ai des chances pour avoir un ticket pour le prochain bus. Je vois défiler plein de gens qui viennent tenter leur chance pour obtenir un ticket sans faire la queue. Finalement, un homme entre avec des clefs à la main, il semble que ce soit le chauffeur, il prend un ticket. Deux autres hommes obtiennent également un ticket. J’obtiens le mien juste après. Un des premiers passagers du bus m’explique qu’il travaille dans l’administration et qu’il est généralement facile pour lui de prendre un ticket sans faire la queue. Les militaires ont aussi ce privilège.
A côté de moi est assis un jeune homme qui s’occupe d’organiser des excursions de plongée dans l’archipel des Dahlack. Il connaît évidemment Jack. Il est plus de huit heures du soir quand nous arrivons à Asmara, je suis épuisé et je prends un taxi pour l’Africa pension. Je me couche après un petit repas.

24/02/10
Dans un magasin, j’essaye des vieux chapeaux italiens mais je n’arrive pas à me décider. Je passe mon après-midi à lire dans le jardin de l’hôtel. En face la résidence de l’ambassadeur d’Italie et de l’autre côté de la rue une très belle maison en restauration. C’est étonnant mais le bruit des marteaux ne me dérange pas, on dirait une partie de ping-pong. Je dîne en ville sans trop tarder.

25/02/10
Je retourne voir les chapeaux italiens. A la poste central, j’aperçois ces centaines de petits coffres métalliques numérotés qui correspondent aux boîtes postales. J’envoie quelques cartes postales roses “Welcome to our Lovely & Beautiful City, Asmara”.
J'entre dans l'agence d'Eritrean Airline sur Harnet avenue et je demande si je peux réserver un billet d'avion, on me dit que ce n'est pas possible. Alors je demande pourquoi l'agence reste ouverte, on me répond que la situation peut évoluer. Cette compagnie aérienne est financée par le gouvernement.
Près du terminal central des bus, je prends une photographie de sacs au sol avec des pierres. Un homme intervient et je lui explique que je ne vois vraiment pas le problème de prendre une telle image.
Un peu plus tard dans le quartier indigène, un autre homme me demande de le suivre. Je lui demande alors me donner une raison mais il me répond qu’il me la donnera après. Je refuse de le suivre et poursuis mon chemin. Alors une autre personne vient me voir et m’explique qu’il s’agit d’un policier. Au commissariat on me demande pourquoi j’ai pris une photographie d’un bâtiment. Je leur explique alors que je prenais juste une photographie de sacs au sol et que je trouve invraisemblable que l’on me questionne sur ça. Ils me demandent mon passeport. Je leur dis que je trouve cette histoire complètement ridicule. Sur les instructions du commissaire, le jeune policier m’emmène à un autre commissariat un peu plus grand. J’explique mon histoire à nouveau. On m’envoie alors au commissariat central d’Asmara. J’attends avec mon jeune policier sur un banc près du bureau d’un grand chef. Il sort dans le couloir et me pose les mêmes questions mais cette fois-ci je récite ma leçon pour lui montrer que je connais les interdictions concernant les photographies. J’ajoute juste que je ne connaissais pas celle liée aux sacs traînant par terre. Il ne sourit pas et regarde sa montre, il est 11h30. Il me demande le film et me donne rendez-vous à 14h30 dans son bureau. Je file à l’ambassade de France pour leur demander s’ils peuvent me garder tous mes films actuellement à l’hôtel car je crains que l’on visite ma chambre. On m’explique alors que ne sachant pas ce qu’il y sur ces pellicules, il leur est impossible de prendre cette responsabilité. Merci !
De retour à l’hôtel je décide de ne rien cacher pour ne pas paraître suspect et je file manger au Blue Bird. A présent, je ne peux qu’attendre et je ne serais tranquille qu’une fois dans l’avion.
A 14h30 au rendez-vous. La secrétaire lit les trois pages du journal. Le grand chef m’appelle au bout d’une demi-heure et j’entre dans son bureau : j’ai l’impression d’être chez un ministre. Je m’assois et nous discutons de ce film. Il voudrait qu’il soit développer avant mon départ pour vérifier les images. Ce vendredi est un jour ferié et il me demande alors si je ne peux pas décaler mon retour en France de quelques jours. Impossible, je lui propose en revanche de garder le film, quelques images perdues, ce n’est pas si grave. Je sens qu’il aimerait bien me le rendre mais il doit à présent demander l’avis de ses supérieurs. Il me demande donc de repasser à 17h30.
A nouveau dans son bureau, j’apprends qu’il n’a réussi à contacter personne. Cet homme est sympathique, il m’explique qu’il doit très certainement se rendre à Paris. Je lui propose, pour en finir avec cette histoire, de garder le film et de me le rendre à Paris ou de me l’envoyer par la poste si ce film peut m’être rendu. Dans le cas contraire, je n’aurai pas de mal à oublier ces images perdues. Je lui donne mon adresse et mon numéro de téléphone, il m’écrit à son tour ses références :
Colonel Beraki Haïlé
Head of Police
Zaba Mackel
Ce qui m’intéresse maintenant c’est de repartir avec tous mes autres films demain. Il me donne rendez-vous à 10h00 du matin, je n’en peux plus. Je marche dans les rues avec du dégoût jusqu’à mon hôtel.

26/02/10
La ville se réveille très doucement. La cérémonie près de la mosquée a déjà commencé, un groupe de musique traditionnelle est sur la scène. Quelques photographes Erythréens discutent. Ils sont équipés de vieux boîtiers argentiques. Aux quatre coins de la manifestation, perchés sur les toits, des policiers observent la foule. Il n’est plus question pour moi de prendre une seule photographie avant mon départ.
Au commissariat, je dois discuter au policier de garde pour qu’il me laisse rentrer. La porte du bureau du colonel est fermée. En ressortant du commissariat, je tombe sur lui. Il n’a pu contacter personne. Il garde donc le film et me souhaite un bon voyage. Quelques achats du dernier jour mais très vite il me faut me réfugier dans le jardin de mon hôtel, la ville m’asphyxie. Je reste au soleil tout l’après-midi. Le claquement au vent du drapeau italien a remplacé le bruit des marteaux.
Une des femmes de ménage vient me rendre visite, elle a dans une main les deux oranges que j’avais laissée dans ma chambre. Nous discutons en dégustant ces fruits. Le soleil brûle ma peau et je rentre à l’hôtel. Je m’assois devant un poste de télévision que je regarde de temps en temps. Des femmes à côté préparent le café. On m’apporte un morceau de pizza et j’accepte un café. Une petite assiette remplie de lentilles et de fèves froides m’est également apportée. Je laisse le temps passer. Dans la rue j’appelle un taxi à qui je demande d’être à l’hôtel pour 20h30. je n’ai pas envie de rester en ville, mon esprit est déjà ailleurs.
Je m’installe s