Hermel - 2010

Au mois de Novembre 2010, je m’envole pour le Liban mais cette fois-ci avec notre fils Marius âgé de trois mois. Christine avec la compagnie de théâtre « A vrai dire » va jouer à Hermel et à Beyrouth.

Ces quelques lignes ne retracent que deux journées de ce voyage. Je n’ai en effet pas trouvé le temps de tenir un journal :

Les comédiens s’installent tôt le matin dans la salle de spectacle au centre ville. Je pars faire un tour avec Marius dans Hermel. Les enfants jouent dans les rues avec des pistolets ou kalachnikov en plastique. Mon Leica reste suspendu à mon épaule pour l’instant. Je me rends vite compte que j’attire les regards avec ma grosse poussette rouge.
Après une petite demi-heure de balade sur une petite route tranquille, un 4X4 s’arrête derrière moi. Un jeune garçon descend et me demande d’où je viens, quel est mon nom et ce que je suis venu faire dans le coin. Je lui réponds poliment en français mais il ne semble pas tout comprendre, je lui demande alors qui il est pour me poser toutes ces questions. Apparemment il ne souhaite pas me renseigner sur son identité et utilise un peu trop le NOUS au lieu du JE. Voyant qu’il ne veut pas me laisser continuer ma route et qu’en même temps sa tentative d’intimidation ne fonctionne pas, je lui propose de me suivre jusqu’à la salle de spectacle. La situation est assez drôle, j’avance tranquillement avec ma poussette et il me suit au ralenti avec son véhicule sur le bord de la route.
Arrivés dans la salle de spectacle je lui présente avec un peu d’ironie, le metteur en scène, les comédiens et le technicien. Je lui redemande alors son nom et après une ou deux secondes trop longues il me répond TONY. Il repartira sans trop de commentaires.

En début d’après-midi je repars seul en ville avec l’intention de faire quelques images. Je sors mon RolleiFlex devant une station service et au même moment un gros 4X4 s’arrête au milieu de la rue. Deux hommes sautent du véhicule. L’un d’eux s’adresse à moi, il a vraiment une tête de tueur. Il me demande mon passeport qu’il regarde tout en me posant quelques questions. Il me rend finalement mes papiers. Je respire à nouveau. Le véhicule redémarre comme un bolide.
Je décide malgré tout de continuer dans la rue. Un garçon m’offre un café. Se joint à nous un autre type habillé tout de gris avec des vêtements militaires. Ils me posent alors quelques questions et puis repart. L’atmosphère est un peu trop lourde et je décide de revenir vers la salle de spectacle. Alors que je marche tranquillement sur le trottoir, une vieille Volvo s’arrête à ma hauteur. Le jeune homme rencontré à l’instant descend, ouvre la porte arrière et me demande de monter. Je refuse, l’homme au volant s’impatiente.
Voyant qu’il n’ya pas d’autre solution, je monte à l’arrière de la voiture qui part aussitôt à toute allure. Bizarrement, je suis surtout inquiet pour le projet la compagnie de théâtre que je risque de compromettre avec mes aventures. Le jeune homme se retourne de temps en temps vers moi et me pose des questions en français. A chaque fois que je réponds il me dit « parle pas » et discute en arabe avec le chauffeur. Derrière le fauteuil, je rembobine discrètement ma pellicule. Mais alors que je referme le boîtier, un bruit métallique semblable à celui d’une arme s’échappe. Je lève aussitôt mon Leica en criant «Appareil photographique, Maalech !!!». Nous passons devant un véhicule de l’armée et quelques soldats mais je ne peux rien faire.

Je leur propose de m’amener à la salle de spectacle afin qu’ils comprennent mieux ma présence dans la ville, ils semblent accepter.

Arrivés devant le bâtiment, ils refusent que je descende. Je vois alors la gardienne des lieux qui me reconnait et je leur propose de s’adresser à elle. Au bout de quelques minutes, nous nous retrouvons tous dans le hall à boire un café. Le conducteur me tape sur l’épaule.

Un peu plus tard je demande conseil à la responsable de l’association qui reçoit la compagnie de théâtre. Elle m’explique que ces hommes m’ont conseillé de ne pas prendre de photographies mais qu’il ne s’agit là que d’un conseil et que je ne suis pas obligé de le suivre… Elle appelle cependant un ami qui travaille à la mairie et par conséquent qui est membre du Hezbollah. Il nous rejoint très rapidement. Il m’écrit son nom et son numéro de téléphone sur un bout de papier et me le tend en me disant qu’il s’agit de mon nouveau passeport photographique. Nous discutons encore un moment, l’ambiance est très détendue.

J’apprends par la suite que ces personnes qui m’ont interpellé aujourd’hui sont vraisemblablement liés au trafique de cannabis de la région.

Beyrouth, je rencontre Jakoba chez nos amis qui nous hébergent dans Hamra. Elle m’explique qu’elle a vécu dans différents quartiers de la vile depuis son arrivée de Madagascar. Je lui demande de m’accompagner à Sabra.

Nous partons quelques jours plus tard vers ce quartier en minibus. A l’entrée d’une grande rue, nous entrons dans des souks où tout peut s’acheter d’occasion à des prix dérisoires, des piles énormes de chaussures, des appareils électroniques.
Nous sommes accompagnés d’une autre amie malgache et d’un libanais. La zone est très commerçante mais les bâtiments sont complètement délabrés.

De plus en plus d’affiches politiques sur notre route. Nous rentrons alors par une petite ruelle dans le quartier palestinien. Un autre guide palestinien nous rejoint. Ils nous explique qu’il faut se présenter au responsable du quartier si l’on veut continuer.

Un homme sort d’un bureau et discute avec notre nouveau guide. Je crois comprendre qu’il nous faut monter dans un appartement. Je croise le regard de Jakoba qui est aussi inquiète que moi. Je ressens ce mouvement de flottement où l’on s’aperçoit que l’on est à la limite de quelque chose, une ligne à franchir ou pas. Tout peut basculer et nous ne maîtrisons plus ce qui va arriver en quelque sorte.

J’échange quelques mots avec Jakoba et nous nous mettons d’accord qu’il ne faut pas aller plus loin et qu’il serait bon de faire demi tour.

L’homme sorti du bureau s’adresse à moi à présent et je lui explique calmement que je suis venu faire quelques images du quartier, que je ne suis pas journaliste. Il me regarde dans les yeux et me dit finalement que nous pouvons rester quelques heures à déambuler dans les rues. Je lui redemande confirmation à propos de mon intention de faire quelques images.

Nous partons donc dans ces rues étroites et sombres. D’innombrables files électriques coupent le peu de ciel bleu que laisse apparaître les façades si proches. Les eaux usées coulent coulent par endroits dans la rue.
J’aurai envie de m’arrêter, de prendre mon temps mais notre petite équipe suit le rythme de notre guide, il ne faut pas trainer.

Complètement désorientés, nous retombons à notre grand étonnement devant le bureau. Nous montons alors au troisième étage de la maison d’en face. Celle où l’on nous demandait d’entrer précédement. Les parties communes sont complètement délabrées.
Nous entrons alors dans un appartment minuscule où l’on nous présente la famille de notre guide. Nous comprenons alors ce que l’on nous demandait tout à l’heure.

Nous buvons un Coca Cola en échangeant quelques mots sur la situation actuelle du quartier.

Il nous faut à présent repartir sur cet tout autre Beyrouth qu’est Hamra.