Yémen - 2009

01/11/09
Cela fait à présent trois semaines que nous parcourons le Yémen. Christine a pris un avion de Sana’a pour la France hier soir. Tôt le matin, je traverse la vieille ville endormie pour rejoindre un grand marché à l’est. Sur place, de nombreux vendeurs de poules et les enfants me demandent des photographies. Je me promène aux quatre coins du marché et je me positionne près d’un petit restaurant en hauteur pour faire quelques images. En face, un commerçant indien, sans doute, et qui m’observait depuis quelques minutes, m’invite à venir boire un verre de lait mangue-banane.
La partie du marché où l’on vend du qat est toujours la plus animée et l’on me vante comme d’habitude les vertus de la plante. Il n’est qu’à peine 10 heures du matin et de nombreuses personnes ont déjà la boule formée par le qat qu’ils mâchent sur une des deux joues.
Je déambule dans les environs pour essayer de retrouver un autre marché au qat. Je me perds et fais un grand tour avant de retrouver ma route.
Je prends ensuite un taxi pour l’autre bout de la ville et déjeuner. Le chauffeur met dans l’autoradio une cassette de House Music arabe, le volume est à fond et nous partons dans une atmosphère bien détendue. Nous baissons la musique mais je n’arrive pas à lui faire comprendre là où je veux aller. Il téléphone alors à sa femme qui parle parfaitement anglais à qui j’explique la destination, nous reprenons le chemin, musique à fond. Me voici devant le marché aux poissons. J’en achète un et je vais le faire cuire dans un des restaurants du coin. Des femmes vendent également du pain dans la rue que j’achète au passage. Je me fais également préparer un petit sachet de sauce pimentée au fromage.
En entrant dans le restaurant un garçon me prend aussitôt le poisson et je m’installe à une table où viendront se joindre trois personnes. Ils m’invitent à partager leur poisson frit et leur sauce pimentée. Impossible de reconnaître le garçon qui m’a pris mon poisson. Lorsqu’il arrive enfin, je n’ai plus trop faim et le poisson très chaud sortant du four n’est pas assez cuit à mon goût.
Dans l’après midi, je passe un coup de fil à Abdul pour lui expliquer mon projet photographique. Nous partirons à Manakha vendredi matin. Je me rends ensuite au bureau de la police touristique pour obtenir un laisser passer pour mes trois prochains jours autour de Kawkaban.
Après quelques courses au supermarché de Zubayri street, je file sur la terrasse de l’hôtel pour bouquiner sous la pleine lune.

02/11/09
Pas d’eau dans la salle de bain. Je quitte l’hôtel pour rejoindre la gare routière en taxi. Une Peugeot 504 attendait un dernier passager et nous partons donc tout de suite. Nous sommes neufs dans le véhicule. Au premier check point l’attente est un peu longue car ils doivent téléphoner à Sana’a (ce qu’ils font systématiquement malgré les autorisations). Les check points suivants sont généralement plus souples. Je m’excuse auprès des autres passagers mais tout le monde me dit que ce n’est pas grave.
Arrivé à Shibam, je monte dans un pick-up direction Kawkaban. L’hôtel sera suffisamment confortable pour une nuit. Après une visite rapide de cette ville complètement déserte, je redescends sur Shibam par un chemin de pierres. Le repas au Hamida restaurant est très copieux, c’est aussi le rendez-vous de tous les touristes qui viennent en groupe. Les enfants de cette ville m’épuisent et je trouve refuge dans un petit restaurant où le patron m’offre un verre de thé. Je discute un moment avec lui et avec un de ses clients. Les vendeurs de qat ont disparu et les chèvres mangent les restes. Retour sur Kawkaban par la route. Je marche environ cinq kilomètres avant qu’une voiture s’arrête. Au passage du cimetière près de la route, le conducteur coupe la musique et la rallume un peu plus loin. Je monte sur le toit de l’hôtel avec le cuisinier Youssef pour profiter des derniers rayons de soleil. Quelques biscuits me suffiront pour ce soir.

03/11/09
Petit tour du village sous les premières lueurs du matin. Walid ferme sa boutique de souvenirs et m’emmène à Shibam dans son camion. Il éteint la musique en passant devant le cimetière. La route est sinueuse et le camion descend à toute allure, je m’accroche à ce que je peux l’air un peu effrayé et Walid crie alors à l’oreille : « Schumacher ! », très fier de sa conduite sportive. Il me faut plusieurs véhicules pour rejoindre Al-Malweet. Debout à l’arrière d’un pick-up, j’apprends par l’un des passagers que l’armée Yéménite a vaincu les Houthistes au nord du pays. Des terrasses de qat à perte de vue. La ville de At Taweela ne me retient que trente minutes et je reprends un autre taxi. Il est midi quand le chauffeur s’arrête dans un petit village et m’annonce qu’il est heure de manger. Il m’indique un restaurant et je comprends qu’il va lui manger à l’autre bout du village. Je laisse mon sac à dos dans la voiture, confiance. Il me retrouve un peu plus tard et nous repartons sur la route avec les autres passagers. A l’arrivée je découvre un hôtel très confortable. Après avoir visiter la vieille ville, j’aperçois des jeunes gens jouant sur un terrain de foot. Je suis invité mais au bout d’un quart d’heure de jeu, mon cœur bat à cent à l’heure et je n’ai plus de souffle. Je tiens bon encore quelques minutes et je décide de rentrer à l’hôtel. Grande salle à manger, je suis seul à une table. De l’autre côté, une dizaine de russes dînent en buvant de la bière sans alcool à laquelle ils rajoutent une sorte de whisky.

04/11/09
Petit déjeuner au soleil sur la terrasse du Al Mahweet Tourism Restaurant. Le cuisinier découpe face à la rue une bête entière suspendue à un crochet. Je pars à pieds vers l’entrée de la ville en évitant le check point ne sachant ce qu’ils peuvent exiger. Une belle ascension sur un chemin de pierre. A son sommet, un homme m’invite à prendre le thé dans sa maison tout près. C’est un professeur d’arabe.
Un enfant se joint à moi alors que je passe devant une école. Il m’amène au bord d’une falaise : je découvre à travers les éclaircies, les nuages filent très vite, des petits villages suspendus au loin. Point de vue exceptionnel, je m’assieds un instant et sors des biscuits de mon sac que nous partageons. Je le préviens qu’il n’aura pas d’argent mais que s’il le souhaite nous mangerons mon repas ensemble. Il est d’accord et nous continuons la route. Il me montre sa maison. Nous partons alors dans les champs sorgho observer les hommes et les femmes qui y travaillent. Nous choisissons ensemble un arbre pour déjeuner à l’ombre. Sur la route de nouveau, je quitte l’enfant lorsqu’il commence à me demander de l’argent.
Retour à Al Mahweet en moto taxi. Je me dirige ensuite à pied à l’autre bout de la ville où je ne peux pas éviter le check point. Je donne une photocopie de mon autorisation et j’échange quelques sourires avec les policiers. En empruntant un chemin, je discute quelques minutes avec un étudiant qui rentre chez lui. Nous montons à l’arrière d’un pick-up. Plus tard sur ce même chemin une dizaine d’enfants me demandent mon nom, de quel pays je viens… je ne réponds pas. Ils me lancent alors des cailloux. Je suis fatigué par ce comportement trop fréquent et je leur lance à mon tour des cailloux. Cela n’améliore en rien la situation et je décide de continuer mon chemin. Un peu plus loin un jeune homme trie des graines de sorgho avec deux autres petits gamins. Nous discutons un instant lorsqu’une moto passe et s’arrête. Je lui demande de me ramener et je monte à l’arrière de sa moto. Des nuages noirs menaçants à l’ouest. Je trouve finalement une terrasse de café tranquille à Al Mahweet pour siroter un thé. Nous observons un vieil homme assis en face. Ils se moquent de lui car il est assis là tous les jours à observer les passants et à faire des commentaires à haute voix. J’évite le soir le restaurant de l’hôtel.

05/11/09
Petit déjeuner au soleil sur la terrasse du Al Mahweet Tourism Restaurant comme la veille. Un petit veau aux grands yeux est tiré dans les cuisines par un garçon, l’animal résiste. Un chauffeur sort de son véhicule et traverse la route. Il part pour Shibam. Je repasse à l’hôtel prendre mon sac et je le rejoins au restaurant. Le cuisinier sort des cuisines avec le petit veau la tête en moins qu’il fixe à son crochet. Je monte dans le pick-up pensant partir rapidement mais après avoir fait 10 fois le tour de la ville à la recherche d’autres clients il me propose de monter dans un autre véhicule. Mon nouveau chauffeur a beaucoup plus de chance et nous partons dans la demi-heure. Arrivé à Shibam, un jeune homme sur sa moto me propose un prix exorbitant pour m’emmener sur Thilla. Je monte dans une voiture pour une poignée de Rials. De retour au croisement Shibam Thilla Sana’a, le conducteur me conseille de manger un morceau avant de reprendre un autre taxi pour Sana’a.
Abdul est au rendez-vous et nous organisons notre départ pour Manakha. De retour de la police touristique, il m’invite à prendre du qat dans un hôtel du coin. Je discute longtemps avec un étudiant yéménite en langue française qui m’a offert également une belle poignée de feuilles. Impossible pour lui d’obtenir un Visa pour continuer ses études en France depuis 2006, il devra certainement se contenter de l’Espagne. Je pars ensuite dîner avec Abdul.

06/11/09
Il est 7h30 lorsque nous partons en voiture. Je n’ai pas dormi de la nuit. Les rues sont désertes, c’est vendredi. Je fais mon premier Polaroïd juste avant le premier check point. Comme prévu nous nous arrêtons à chaque station service. Pour éviter que les gens ne posent spontanément devant mon objectif, je leur propose de me rejoindre. La photographie prise, ils comprennent alors qu’il n’y en aura pas d’autre car je rejoins la voiture. Zaïr le patron du Manakha Hôtel est très surpris de me revoir et me sert dans ses bras, je retrouve également Mohamed et Nabil avec qui nous échangeons quelques blagues. Les tables sont du restaurant sont dressées, les chambres ont été transformées en salles à manger. Dehors de nombreux bijoux sont exposés. Ils attendent trois bus venant de Hodeïda, au total 120 touristes allemands. Je prends un thé sur le toit de l’hôtel avec Abdul. Nous observons la montée progressive des bus depuis le croisement avec la route de Hodeïda. Lorsque les touristes arrivent, Abdul m’amène à une fenêtre donnant sur la rue où l’on peut observer le spectacle. Les guides, les vendeurs se ruent sur les touristes à peine sortis du bus, il faut tout montrer, faire essayer les colliers, tenter sa chance auprès d’un autre touriste… Beaucoup de ces touristes préfèrent prendre des photographies des étalages de bijoux ou même se prendre en photographie à côté de la station service à l’entrée du village. Finalement, quelques cartes postales seront vendues.
Ils remontent tous dans les bus pour Al Hajjara. Je descends alors avec Abdul pour déjeuner. Je fais un bref passage dans le village. A mon retour, ils ont avalé leur repas et sont assaillis par les musiciens qui font vibrer les murs de l’hôtel. Ils repartiront peu de temps après.
Nous reprenons également la route avec Abdul direction Sana’a. La lumière baisse rapidement mais j’arrive quand même à faire quelques Polaroids supplémentaires. Abdul continuera à mâcher son qat à Sana’a. Je suis fatigué et lorsqu’il me dit qu’il rentre chez lui, je ne le retiens pas.

07/11/09
Je n'ai pas de choses précises à faire aujourd’hui, à l'exception d'un bon repas le midi sur Adda street et de petits cadeaux à acheter. Je me rends à l'extérieur de la vieille ville sur Abdul Ali street pour retirer un peu d'argent. Près de cet endroit un homme bien habillé d'une cinquantaine d'années m'adresse la parole. Son frère tient la pharmacie à côté et lui travaille à l'aéroport à la douane au contrôle des passagers. Il me propose de me montrer le quartier juif. Il m'offre un thé et un petit déjeuner dans ce nouveau quartier pour moi. Son anglais est parfait et nos discussions en parcourant la ville sont très intéressantes. Il me met en confiance, il me donnera du miel d'Hadramout qu'il confisque régulièrement à l'aéroport. Il me propose de m'emmener à l'aéroport lorsqu'il reprendra le service en début de soirée, un peu tôt pour moi mais cela peut être intéressant d'être à l'intérieur des services des douanes. Et puis, vient le moment où il m'annonce que sa femme et lui touchent leur salaire aujourd'hui (sa femme d'origine russe travaille également à l'aéroport). Il me dit ensuite qu'il doit aller chercher sa voiture au garage mais il n'a pas d'argent sur lui. Tout va très vite...
Il m'explique alors son plan :
Je lui donne de l'argent, il récupère sa voiture, va chercher sa paye et revient me rendre l'argent et me donner le miel à l'hôtel à 14h30. Il faudra que je le mette dans mon sac avant l’aéroport. Après midi libre et à 18h00, il viendra me chercher pour l'aéroport.
Il fait chaud, je vois venir le truc mais je suis dans une position ennuyeuse et je suis incapable de refuser, il est trop tard. Je lui file 10000 Rials soit 50$US sur le trottoir et il part. A cet instant, je sais déjà que j'ai fait une connerie mais je me dis naïvement qu'il reviendra à l'hôtel avec le miel mais sans l'argent. Je ne connais que son prénom et celui de sa femme. Je ne le reverrai pas.
J'étais vexé de m'être fait avoir, alors que j'ai toujours su détecter les embrouilles et jouer des situations à mon avantage. J'étais aussi trahi par un Yéménite et très attristé d'avoir ce goût amer le dernier jour de mon périple, ce peuple me semblait si accueillant. Ne jamais faire confiance à un douanier.
Je passe le début de l’après midi sur le toit de l’hôtel me refusant d’aller au restaurant.
Derniers envois à la poste, je prends ensuite un taxi avec l’idée de prendre une photographie identique à celle d’une carte postale représentant la porte du Yémen. Arrivé à l’entrée de la vieille ville, je comprends que l’image a été prise depuis l’étage d’un hôtel. Je monte à la réception mais on me demande de payer l’accès à l’étage supérieur. Je n’ai aucune envie de payer et je prends alors l’image de la réception. En pointant mon objectif, je me rends compte le point de vue est parfait. Dernier passage au Souk où l’on m’invite à partager des pommes de terres cuites à l’eau que l’on assaisonne de sel et de piments.
Plus tard, je mange seul un plat de fèves au restaurant Palestine. Lorsque je reviens dans la vieille ville je négocie un tissu yéménite avec le peu d’argent qu’il me reste dans les poches. Je pars en taxi, avec le frère d’un commerçant, pour l’aéroport. J'interroge des gens et j'apprends que mon douanier travaille bien ici avec sa femme mais du côté des arrivées : je suis dans la salle d'embarquement et il m'est impossible de faire demi-tour...
Henry de Monfreid écrivait : "L'expérience ne s'achète pas, elle se paye", Les secrets de la mer rouge.